I
Ma fille, va prier. --- Vois, la nuit est venue.
Une planète d'or la-bas perce la nue ;
La brume des coteaux fait trembler le contour ;
A peine un char lointain glisse dans l'ombre... Ècoute !
Tout rentre et se repose, et l'arbre de la route
Secoue au vent du soir la poussière du jour !
. . . . . . . . . . .
Le jour est pour le mal, la fatigue et la haine.
Prions ! Voici la nuit ! la nuit grave et sereine !
Le vieux pâtre, le vent aux brèches de la tour,
Les étangs, les troupeaux, avec leur voix cassées,
Tout souffre et tout se plaint. La nature lassée
A besoin de sommeil, de prière et d'amour !
C'est l'heure où les enfants parlent avec les anges.
Tandis que nous courons à nos plaisirs étranges,
Tous les petits enfants, les yeux levés au ciel,
Mains jointes et pieds nus, à genoux sur la pierre,
Disant à la même heure une même prière,
Demandent pour nous grâce au Père universel !
Et puis ils dormiront. --- Alors, épars dans l'ombre,
Les rèves d'or, essaim tumultueux, sans nombre,
Qui naît aux derniers bruits du jour à son déclin,
Voyant de loin leur souffle et leurs bouches vermeilles,
Comme volent aux fleurs de joyeuses abeilles,
Viendront s'abattre en foule à leurs rideaux de lin !
O sommeil du berceau ! prière de l'enfance !
Voix qui toujours caresse et qui jamais n'offense !
Douce religion qui s'égaye et qui rit !
Prélude du concert de la nuit solennelle !
Ainsi que l'oiseau met la tête sous son aile,
L'enfant dans la prière endort son jeune esprit.
II
Ma fille, va prier ! --- D'abord, surtout, pour celle
Qui berça tant de nuits ta couche qui chancelle,
Pour celle qui te prit jeune âme dans le ciel,
Et qui te mit au monde, et depuis, tendre mère,
Faisant pour toi deux parts dans cette vie amère,
Toujours a bu l'absinte et t'a laissé le miel !
Puis ensuite pour moi. --- Dis pour toute prière :
--- Seigneur, Seigneur mon Dieu, vous êtes notre père ;
Grâce. vous êtes bon ! grâce, vous êtes grand ! ---
Laisse aller ta parole où ton âme l'envoie ;
Ne t'inquiète pas, toute chose a sa voie,
Ne t'inquiète pas du chemin qu'elle prend !
Il n'est rien ici-bas qui ne trouve sa pente ;
Le fleuve jusqu'aux mers dans les plaines serpente ;
L'abeille sait la fleur qui recèle le miel.
Toute aile vers son but incessamment retombe :
L'aigle vole au soleil, le vautour à la tombe,
L'hirondelle au printemps et la prière au ciel !
Lorsque pour moi vers Dieu ta voix s'est envolée,
Je suis comme l'esclave, assis dans la vallée,
Qui dépose sa charge aux bornes du chemin ;
Je me sens plus léger ; car ce fardeau de peine,
De fautes et d'erreurs qu'en gémissant je traine,
Ta prière en chantant l'emporte dans sa main !
Va prier pour ton père ! --- Afin que je sois digne
De voir passer en rève un ange au vol de cygne,
Pour que mon âme brûle avec les enscensoirs !
Efface mes péchés sous ton souffle candide,
Afin que mon coeur soit innocent et splendide
Comme un pavé d'autel qu'on lave tous les soirs !
III
Prie encor pour tous ceux qui passent
Sur cette terre des vivants !
Pour ceux dont les sentiers s'éffacent
A tous les flots, à tous les vents !
Pour l'insensé qui met sa joie
Dans l'éclat d'un manteau de soie,
Dans la vitesse d'un cheval !
Pour quiconque souffre et travaille,
Qu'il s'en revienne ou qu'il s'en aille,
Qu'il fasse le bien ou le mal !
Pour celui que le plaisir souille
D'embrassements jusqu'au matin,
Qui prend l'heure où l'on s'agenouille
Pour sa danse et pour son festin ;
Qui fait hurler l'orgie infâme
Au même instant du soir où l'âme
Répète son hymne assidu,
Et, quand la prière est éteinte,
Poursuit, comme s'il avait crainte
Que Dieu ne l'ait pas entendu !
Enfin pour les vierges voilées !
Pour le prisonnier dans sa tour !
pour les femmes echevelées
Qui vendent le doux nom d'amour !
Pour l'esprit qui rève et médite !
Pour l'impie à la voix maudite
Qui blasphème la sainte loi ;
Car la prière est infinie,
Car tu crois pour celui qui nie,
Car l'enfance tient lieu de foi !
Prie aussi pour ceux que recouvre
La pierre du tombeau dormant
Noir précipice qui s'entr'ouve
Sous notre foule à tout moment !
Toutes ces âmes en disgrâce
Ont besoin qu'on les débarasse
De la veille rouille du corps
Souffrent-elles moins pour se taire ?
Enfant, regardons sous la terre ;
il faut avoir pitié des morts !
. . . . . . . . . . .
Et toi, céleste ami qui gardes son enfance,
Qui le jour et la nuit lui fais une défense
De tes ailes d'azur !
Invisible trépied oû s'allume sa flamme !
Esprit de sa prière, ange de sa jeune âme,
Cygne de ce lac pur !
Dieu te l'a confiée, et je te la confie !
Soutiens, relève, exhorte, inspire et fortifie
Sa frèle humanité !
Qu'elle garde à jamais, réjouie ou souffrante,
Cet oeil plein de rayons, cette âme transparente,
Cette sérénité
Qui fait de tout le jour, et sans qu'elle te voie ,
Ecartant de son coeur faux désir, fausse joie,
Mensonge et passion,
Prosternant à ses pieds ta couronne immortelle,
Comme elle devant Dieu, tu te tiens devant elle
En adoration !